The Jerusalem Post, Edition française
Gil Hoffman
(May 17, 2000)
Pour faire face à une pénurie dimmigrants venant de pays occidentaux nantis, lAgence juive propose une synthèse de high-tech et didéologie, espérant attirer ainsi la crème de Silicon Valley et de Wall Street. Gil Hoffman a rencontré certains immigrants déjà installés ici.
David Teten nassèchera jamais de marécage ou ne fera jamais pousser le moindre épi de blé. Et pourtant, il se considère comme un pionnier.
Ce diplômé de Harvard et de Yale, qui a décidé dimmigrer officiellement il y a six mois après un séjour ici durant lété 1989, explique quil a renoncé à un emploi prometteur pour la banque dinvestissement Bear Stearns, banque tournée vers le high-tech, basée à New York et dans la Silicon Valley, parce que, précise-t-il, je voulais aider à bâtir lEtat dIsraël et parce que je suis un peu fou.
Aujourdhui, David Teten fondateur et directeur général de Goldfire, une florissante start-up financière Internet fait partie du nombre croissant de jeunes professionnels aisés qui ont décidé dabandonner leur carrière prometteuse dans le high-tech aux Etats-Unis, pour mener une vie juive en Israël, sans pour autant compromettre leur avenir professionnel dans le domaine.
Nous pouvons tous gagner plus et à moindre risque dans nos pays dorigine et, dans un sens, nous sommes tous des pionniers, affirme-t-il. Dans les premiers temps, Israël avait besoin de pionniers pour labourer les champs. De nos jours, Israël a besoin de ceux qui peuvent contribuer à construire léconomie du pays.
Le fait davoir réussi à maintenir un niveau de vie comparable dans le secteur du high-tech israélien en pleine expansion a cependant facilité sa décision. David Teten souligne par ailleurs que si, en tant que juif, il ne sétait pas senti fortement lié à Israël, il serait encore à New York.
Goldfire se distingue à plusieurs égards des autres start-up israéliennes fondées par la gentry anglo-saxonne, précise ce-pendant Emmanuel Mréjen, vice-président et directeur du marché francophone. Nous voulons devenir un symbole de laliya réussie et attirer les olim qui veulent contribuer à lexpansion économique dIsraël. Diplômé de lInstitut détudes politiques de Paris (Sciences-Po) et docteur ès-relations internationales de lUniversité hébraïque de Jérusalem, Emmanuel Mréjen est monté en Israël il y a sept ans parce que, en dernière analyse, Israël est mon pays.
Nous sommes passés de 5 à 30 employés en un mois, et ne cessons dembaucher des Français et même des Belges”, ajoute Mréjen. “Nous comptons dans notre équipe francophone un normalien, un diplômé du Technion de Haïfa, ancien fondateur et PDG dune start-up Internet en France.”
Israël est devenu une puissance économique régionale dont le PNB par habitant est égal à celui du Royaume-Uni”, explique Mréjen. “Nous ne sommes plus un pays refuge où les Juifs doivent sacrifier leur niveau de vie au nom de leur idéologie. Pour Mréjen, Goldfire incarne le succès de laliya costard et kippa, celle des jeunes cadres qui sinstallent en Israël à la fois pour réaliser leur rêve sioniste et construire la Silicon Valley du Moyen-Orient.
Faire porter ses efforts sur des immigrants potentiels qui ont à la fois un bagage technologique et des convictions idéologiques, voilà qui sinscrit dans la nouvelle stratégie de lAgence juive visant à attirer des immigrants originaires de pays riches occidentaux ; cest ce quexplique Léa Golan, qui est à la tête de la section aliya occidentale de lAgence juive.
Au lieu de se concentrer sur le seul aspect idéologique, on explique désormais aux immigrants potentiels quelles sont les possibilités économiques lorsque lon vit en Israël, tout en leur vendant le refrain traditionnel sur les avantages que lon trouve à vivre dans un pays juif.
On névoque plus les dangers de lantisémitisme et de lassimilation, préférant un message positif qui consiste à mettre laccent sur limportance daider lEtat à réaliser son potentiel sur le plan économique.
Léa Golan explique quil faut donner à nos interlocuteurs le message suivant : Israël nest pas seulement un lieu de refuge en cas durgence cest un lieu qui offre des possibilités de développement.
Mais, les candidats à laliya ont également envie dentendre quelque chose de plus. Sans idéologie, personne ne viendra, même en ayant les meilleurs contacts du monde avec Intel, précise-t-elle.
Pour faire passer ce message, lAgence juive a lancé un certain nombre de programmes qui donnent aux immigrants potentiels un avant-goût de ce que lEtat peut leur offrir.
Dans une stratégie que lAgence appelle aliya par étapes, on fait venir ici des immigrants potentiels à loccasion de foires pour lemploi, ou pour des stages de formation, ou encore pour des programmes de formation en entreprise au cours desquels les candidats à laliya peuvent se rendre compte que cette démarche est tout à fait réalisable.
Plus de 200 personnes sont déjà venues pour des stages en entreprise, longs de 2 à 6 mois, subventionnés par lAgence juive dans un certain nombre de domaines. Ces programmes, conçus pour des étudiants duniversité, leur donnent loccasion de percer dans leur domaine, en Israël.
LAgence subventionne également un programme de lUnion mondiale des Etudiants juifs (WUJS) à Arad, pour des diplômés duniversité. Ils y étudient lhébreu, suivent des cours sur Israël, tout en recevant de laide pour la recherche dun emploi.
Pour ceux qui sont intéressés à travailler dans le high-tech et qui font leur aliya avec un diplôme dAmérique du Nord en poche, lAgence propose un programme de mise à niveau académique pour cet été. Un séjour de 5 mois dans le centre dabsorption de Raanana est proposé aux familles qui peuvent suivre un oulpan ainsi que des cours dinformatique.
Dans le cadre de ce programme, subventionné par le ministère du Travail et des Affaires sociales, un placement automatique est garanti pour tous ceux qui ont suivi le stage avec succès. Dans le cas contraire, on les aide à trouver un emploi.
Les programmes traitent de la réalité dIsraël et aident à transformer une idéologie béate en quelque chose de plus proche de la réalité, explique Akiva Werber, qui gère le bureau Amérique du Nord de lAgence juive.
Nous ne restons plus cantonnés dans des bureaux et nous ne nous contentons plus dattendre le client. Nous disons aujourdhui : Allons les chercher et offrons des possibilités à ceux qui ont envie de faire leur aliya mais craignent de mettre leur projet à exécution.
Pour parer à un manque crucial de près de 3 000 ingénieurs en Israël, lAgence juive et le ministère de lIntégration cosponsorisent les salons pour lemploi, dans nombre de pays occidentaux, avec des compagnies comme Motorola, IBM et ECI Telecom.
Les agences reçoivent les CV à lavance, de façon à ce que les entreprises puissent interviewer les candidats et les recruter sur place.
David Teten a également fait de son mieux pour augmenter le flot de professionnels qui sétablissent en Israël, à la fois en recrutant pour Goldfire des employés venus de Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merill Lynch et Salomon Brothers, et en mettant sur pied un programme qui fait venir des étudiants de MBA et de nouveaux diplômés décoles de commerce américaines de premier plan, pour leur faire visiter Israël pendant dix jours, rencontrer des hommes daffaires israéliens et suivre des cours détudes juives.
Le but des bourses juives du MBA de Jérusalem, explique David Teten, est de donner aux futurs leaders juifs un avant-goût du marché de lemploi en Israël, tout en les mettant en contact avec leur patrimoine.
Le programme correspond tout à fait à ce que pense David Teten qui estime quil est utile davoir une scène high-tech en Israël, mais que ce qui va vraiment faire augmenter laliya occidentale, cest la tentative de promouvoir les connaissances juives et la fierté que lon a dêtre juif.
La théorie de David Teten se trouve confirmée par les statistiques de lAgence juive qui indiquent que les années culminantes pour laliya en provenance des pays occidentaux se situent au début des années 1970, lorsquil y avait eu un regain de fierté juive dans le monde entier, au lendemain de la guerre des Six-Jours.
Laliya en provenance dAmérique du Nord a atteint le chiffre record de 8 166 en 1971, alors que seuls 1 809 Américains et Canadiens ont sauté le pas en 1998 et
1 507 en 1999 ce qui indique que laliya est basée plus sur des convictions idéologiques que sur des considérations de niveau de vie.
Les hauts fonctionnaires de lAgence juive expliquent que les chiffres bas de laliya occidentale nenglobent pas ceux qui changent de statut après être arrivés en Israël dans le cadre dun programme daliya par étapes. Si lon comptabilisait ces olim, le chiffre augmenterait de 700 en 1998 et de 600 en 1999, explique Léa Golan, tout en admettant néanmoins que nous natteignons toujours pas les chiffres que nous pourrions atteindre.
David Reubner, ancien directeur général de ECI Telecom, la plus grande compagnie israélienne de télécommunications, est venu dAmérique du Nord en 1969 et a lancé la compagnie en 1970. Cétait lun des premiers à être convaincu par cet amalgame didéologie et de high-tech.
David Reubner pense que cette même formule qui la convaincu de venir peut être appliquée et utilisée comme catalyseur pour faire remonter les chiffres de laliya. Il pense que lindustrie high-tech israélienne, une des plus importantes du monde, peut inciter ceux qui ont déjà de solides convictions idéologiques à prendre une décision et à venir en Israël.
Le rêve de tout jeune ingénieur est de créer une start-up pour devenir millionnaire. Et Israël est compétitif dans ce domaine.
Avi Operman, 24 ans, un jeune diplômé de la Yeshiva University de New York, analyste pour le groupe Giza, banque dinvestissement et de fonds de capital-risque basée à Tel-Aviv, raconte que les Israéliens de souche surnomment, en plaisantant, le nombre disproportionné de jeunes porteurs de kippa que lon voit dans le monde du high-tech le kippanet.
Le chef dentreprise israélien Yossi Vardi, fondateur de la compagnie Internet Mirabilis (ICQ), qui a été vendu à America Online pour 407 millions de dollars, a récemment déclaré au Jerusalem Post quil croit que les immigrants occidentaux, surtout les jeunes porteurs de kippa contrôlent le high-tech israélien.
Avi Operman, qui convient à la plupart des catégories énumérées par Yossi Vardi, mais vit à Givat Shmouel, nest pas daccord. Nous sortons du lot, mais je pense que nous ne pouvons rien y faire. Cest toujours le bon vieux réseau des copains qui fait marcher les choses en Israël, note-t-il. Le domaine du high-tech est, en fait, composé dune très bonne synthèse entre Israéliens qui connaissent le pays et Américains qui savent comment fonctionne le monde des affaires aux Etats-Unis.
La présidente de la commission dImmigration, dIntégration et de la Diaspora à la Knesset, Naomi Blumenthal, a déclaré, lors dune réunion récente, quIsraël devrait se donner pour but de faire venir un million dimmigrants dAmérique du Nord.
Si le sionisme nattire pas assez de gens, explique-t-elle, cest la qualité de vie sur le plan juif et culturel qui devrait le faire. La vie ici est bien meilleure pour la couche supérieure des classes moyennes parce quelle est plus intéressante, plus dynamique et plus conséquente.
La ministre de lIntégration, Yaël (Yuli) Tamir, a affirmé quIsraël devait devenir une société industrialisée plus ouverte et pluraliste de façon à susciter une augmentation significative de laliya en provenance des pays occidentaux.
Plutôt que de passer des films de lAgence juive (qui idéalisent lEtat), Israël doit convaincre en utilisant la réalité israélienne. Jai soif de leur prouver quil y a une qualité de vie comparable en Israël, qui ne se mesure pas seulement en termes de salaires, mais qui signifie que lon vit dans une société plus accueillante et dans laquelle on se sent plus impliqué, explique-t-elle
En ce qui concerne le high-tech, Yaël Tamir déclare : Jespère que les jeunes gens de la Silicon Valley considéreront Israël comme une possibilité. Nous devons prendre conscience que, finalement, ce sont les gens eux-mêmes qui peuvent contribuer et aider à faire progresser la société israélienne vers le XXIe siècle.
Un genre daffirmation qui nest pas pour déplaire à des gens comme David Teten et Emmanuel Mréjen, qui sont venus ici précisément dans ce but.